Parler autrement de l’avortement

Nous connaissons les arguments, et il est probable que votre opinion est faite. Le terrain de la communication autour de l’avortement est miné (et scabreux aujourd’hui). Dans le fond, la douleur ressentie par les femmes après la perte d’un enfant est reconnue et peu cachée. Cependant accordez-moi deux minutes pour présenter quelques aspects moins connus. Peut-être êtes-vous concerné sans même le savoir ?

Les deux types d’avortement
Commençons avec l’ING, soit interruption non volontaire de grossesse. Quelque trente mille femmes en Suisse perdent leur enfant entre le deuxième et le sixième mois de grossesse à leur plus grande tristesse (chiffre de 2004). Plus les mois passent, plus la perte est ressentie. Bien souvent, les personnes concernées en ignorent la cause. Lorsqu’elle est détectée, une aide adéquate peut être proposée à la maman ou aux parents. Il est souvent très difficile de surmonter une telle perte.

Il est (plus que) probable que bien des femmes perdent un enfant avant le premier mois, parfois sans savoir ce qui s’est réellement passé et sans avoir l’occasion d’en parler. Le mari, ou le géniteur, n’est pas nécessairement compréhensif, car ces choses dépassent souvent les hommes. Mais les conséquences hormonales et émotionnelles sont réelles et affectent la mère. Nous vivons dans une société qui oblige la mère à porter beaucoup de choses.

Une histoire de femmes?
Une fausse couche ne concernerait-elle que la mère? Dans son livre Cet enfant qui m’a manqué, Michel Hermenjat rassemble des preuves qui montrent que c’est loin d’en être le cas. Une interruption de grossesse, volontaire ou non, peut aussi affecter le père et les enfants. Des enfants nés vivants avant ou après une interruption de grossesse peuvent avoir le sentiment d’avoir survécu.

Des effets inattendus
Des psychiatres parlent du syndrome du «survivant de l’avortement». Voilà donc un autre terme à considérer. Il s’agit par exemple pour un enfant de découvrir qu’il n’est finalement pas véritablement l’aîné. Combien d’entre nous ont vécu avec le sentiment que, quelque part, ils ont un grand frère ou une grande sœur? S’agit-il de leur pure imagination? Peut-être bien que non! Nos histoires de famille, enfouies parfois par la honte, la culpabilité ou l’incapacité de les exprimer, laissent bien plus de traces que nous pourrions le penser. Prenons l’exemple, mieux connu, du syndrome de l’enfant de remplacement, conçu pour éviter le deuil d’un autre enfant décédé ou un échec du passé.

Chaque enfant est important
Dès lors, nous pouvons comprendre que ces questions ne concernent pas uniquement les ING, mais aussi les IVG, soit interruptions volontaires de grossesse. Mon propos n’est pas de mener une campagne anti-avortement, même si certains l’interpréteront dans ce sens. En Suisse, les chiffres officiels sont plutôt bas comparés à certains autres pays. Cependant, je me sens concerné chaque fois que je côtoie un tel drame (la perte d’un enfant ne peut pas être banalisée) et je me préoccupe des questions qui se posent à la nouvelle génération face à la banalisation de l’avortement volontaire. De plus, nous manquons de personnes capables d’accompagner des parents dans ce parcours, et les difficultés se multiplient.

Il serait faux d’attribuer tous les maux de notre société à l’avortement. L’IVG est en partie la conséquence d’une manière de penser. Bill Clinton a affirmé que «l’IVG doit être accessible, sûre et rare». Nous avons transformé cette accessibilité en un droit, et le droit en une normalisation. La difficulté est que nos autres «droits» comme ceux de l’argent, de la réputation et du confort personnel pèsent souvent plus lourds que la vie d’autrui. Cette échelle de valeurs peut paraître normale, car nous sommes intégralement immergés dans cette manière de fonctionner. Prendre du recul et se poser certaines questions n’est pas un exercice simple, et nous ne pouvons plus ignorer les effets
directs et secondaires de l’avortement sur nos
enfants et nous.

Les couples en souffrent profondément
Peu de couples survivent à l’avortement, et les survivants ont souvent dû travailler des années pour stabiliser leur situation. Nous sommes profondément émus, même choqués, de ce que nous avons vécu. Nous éprouvons le besoin d’être pardonnés, même si la société s’efforce de nous convaincre qu’il n’y a pas de crime. Dans les cas de mort-nés ou des enfants qui décèdent quelques heures après leur naissance, une finalité, une cérémonie et un adieu respectueux aident les parents en souffrance à exprimer leur peine. Le chemin après n’est pas simple, mais il est envisageable.

L’étendue est grande
Pour ceux qui voient la vie de leur progéniture terminée précocement, et de plus si leur décision est prise hâtivement et sous la pression d’autres personnes et d’autres facteurs, les difficultés sont grandes. Nous ignorons facilement ces aspects ou nous imaginons qu’il ne s’agit que d’une faible partie de la population. A tort. En outre, nous devons peser correctement les effets sur la jeune génération. Ils n’ont pas choisi leur place ni leur rôle, et les antécédents leur sèment un parcours semé d’embûches; ils ont besoin d’être compris ou ils resteront en permanence porteur d’un fardeau invisible. Nous avons besoin de mieux comprendre, de mieux agir et de mieux communiquer, d’apprendre à parler autrement de l’avortement.

Paul Marsh

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